Thomas Bernhard est un de ces personnages historiques que ses contemporains ont du mal à comprendre, à saisir, à un point qu'on en fait une " idole ".

C'est le sort qui a été celui de Nietzsche : pour déstabiliser un de ses adorateurs, il suffit juste de lui rappeler qu'il s'agit exactement de la même époque que Karl Marx…
Et l'on comprend tout de suite la signification de Nietzsche, ce nihiliste de la fin du 19ème siècle.

Car Thomas Bernhard est on ne peut plus autrichien. Il n'est rien dans on œuvre que l'on ne puisse relier à la réalité autrichienne, celle où il a vécu et a développé, envers et contre tout et tous, sa personnalité.

Thomas Bernhard, c'est une vie d'artiste dans une Autriche issue de la guerre et de son soutien à l'Allemagne, dans une Autriche entièrement dominée à tous les niveaux de la vie sociale par deux partis politiques : le parti social-démocrate et le parti populaire (SPÖ et ÖVP), pavant la voie au populisme.

Tel site Internet canadien dit que Thomas Bernhard est "particulièrement critique de l'Autriche et de la société viennoise ".

De l'Autriche soit, mais l'affirmation devient ridicule à partir du terme "viennois".
Une telle affirmation est ridicule quand on sait à quel point Bernhard, issue de la ville de Salzbourg de la guerre et de l'immédiate après-guerre, avait conservé une haine particulièrement féroce des valeurs de cette ville.


Thomas Bernhard n'est pas un auteur viennois. Comme Georg Trakl, il vient de Salzbourg. Les premières œuvres de Thomas Bernhard sont d'ailleurs fondamentalement influencées par l'œuvre de Trakl, le poète maudit.
Cette capacité à " ruminer " sa douleur, propre au lyrisme de Trakl et de Bernhard, correspond à ce "ressentiment " dont parlait Nietzsche, sauf que si celui-ci dévalorisait cette "attitude ", Trakl et Thomas Bernhard ont montré qu'on pouvait renverser les valeurs, assumer la malédiction pour imposer la vérité.

Le désespoir, l'absence de perspective et d'issue, la destructivité du monde extérieur, voilà ce que constatent Trakl et Bernhard, et par-là même ils se posent en tant qu'hommes, donnant ainsi -et c'est là tout le paradoxe- un espoir : celui de la vérité, de la sincérité, même dans le maelström le plus puissant de sensations, d'idées, de pensées.

L'individu, plongé dans un trouble causé par l'indifférence absolue de son environnement, n'a le choix qu'entre la créativité totale ou la monomanie obsessionnelle.

On peut diviser l'œuvre de Thomas Bernhard en quatre parties. Les œuvres de jeunesse tout d'abord, c'est-à-dire ses poésies, très influencées par Trakl. Viennent ensuite ses romans, puis ses pièces de théâtre et enfin ses cinq œuvres autobiographiques (en prose).

Si l'on met de côté ces dernières, dont Bernhard disait lui-même qu'il ne savait pas si c'était de la littérature, ainsi que les œuvres de jeunesse, on peut voir qu'on a affaire à un Bernhard cherchant à exprimer la même chose de deux manières.

Car les pièces de théâtre suivent historiqument les romans chez Bernhard. Là où auparavant le style indirect et la densité psychologique formaient une œuvre romanesque, la pièce de théâtre tente de faire passer le message de manière plus directe.

On peut ainsi constater que Bernhard est passé du lyrisme poétique, psychologiquement profond et teinté de références bibliques, au roman, pour ensuite dépasser la forme romanesque et développer un art théâtral (unique en son genre).

Le théâtre de Thomas Bernhard est étouffant, il " coince " le spectateur et lui montre toute la dimension d'un être en proie au génie et apparemment à la folie.
La question restant en suspens pour nous étant : le théâtre de Bernhard est-il son meilleur roman, ou l'expression difficile de l'incapacité à écrire celui-ci ?

michael rebboah

©michael rebboah 2002